L'identité numérique
V.Favel-Kapoian & D.Dussurgey
1.1. Identité ? Identités ?
Pour
comprendre ce qu'est l'identité numérique il faut partir de la source
: qu'est-ce que l'identité ? "Qui je suis, ce qui me rend unique" (nom,
prénom, empreintes, mensurations, connaissances, histoire...) nous dit
le dictionnaire. Définition somme toute assez simple qui se complexifie
lorsqu'on approfondit la question. En effet, « Qui je suis » est
évolutif dans le temps. Notre identité se nourrit de nos expériences, de
notre vécu et nous sommes donc un peu différents qu'hier et pas tout à
fait les mêmes que demain. Notion évolutive mais aussi multiple, notre
identité n'étant pas tout à fait la même pour nous et pour les autres.
Loin de se contredire, ce double point de vue, le nôtre sur nous-mêmes
et celui des autres sur nous, se complète et permet de cerner toutes les
dimensions de notre identité [2].
Reprenons le schéma que Philippe Buschini a imaginé pour définir l’écosystème de l’identité traditionnelle :
« L’identité personnelle renvoie l’individu à son
individualité, aux caractéristiques qui le rendent unique. D’un point de
vue juridique, l’identité d’une personne est inscrite dans l’état civil
et est garantie par l’État. Il s’agit de l’ensemble des éléments de
fait et de droit relatifs à un individu (date et lieu de naissance, nom,
prénom, filiation, etc.) légalement reconnu ou constaté, qui permet de l’individualiser de manière unique.
L’identité sociale, elle, se réfère aux statuts que l’individu partage avec les autres membres de ses groupes d’appartenance (sexe, âge, métier…).(...)
L’identité culturelle, très (trop) souvent confondue avec l’identité sociale, est l’adhésion plus ou moins complète d’un individu aux normes et valeurs d’une culture [3] »
L’identité sociale, elle, se réfère aux statuts que l’individu partage avec les autres membres de ses groupes d’appartenance (sexe, âge, métier…).(...)
L’identité culturelle, très (trop) souvent confondue avec l’identité sociale, est l’adhésion plus ou moins complète d’un individu aux normes et valeurs d’une culture [3] »
1.2. Le numérique, ça change quoi ?
Et l'identité numérique ? L'identité numérique ne se limite pas au
code d'authentification délivré par un système informatique. Elle se
compose de l'ensemble des facettes de l'identité « traditionnelle »
qu'elle complexifie et démultiplie. En effet, nos identités
personnelles, sociales et culturelles ont une dimension connectée [4]
(appelée aussi « moi numérique ») constituée de nos pseudo, alias, méls,
identifiants, profils, avatars, etc.
L'identité numérique est constituée de ce que nous sommes, de ce qui
nous appartient, nous détermine. Celle-ci se dessine grâce aux traces
que nous laissons sur Internet, traces volontaires à travers ce que nous
publions ou nous disons de nous, traces involontaires avec ce que les
systèmes informatiques retiennent de nous, et traces héritées,
c'est-à-dire ce que l'on dit ou diffuse de nous sans que nous soyons au
courant. Nous reviendrons plus loin sur ces trois notions qu'il est
essentiel de comprendre.
Cette identité numérique est d'autant plus difficile à cerner (et
donc à maîtriser) qu'elle évolue dans le temps, non pas forcément en
fonction de l'évolution de notre identité mais selon ce que l'outil
informatique et la mémoire des ordinateurs dit de nous à un temps « T ».
Ce discours est plus ou moins aléatoire et plus ou moins contrôlable.
Il dépend, entre autre, du mode de fonctionnement des moteurs de
recherche et de la façon dont ils archivent les données.
La fréquence suivante essaye de résumer la notion d'identité numérique :
Mon identité numérique =
IC + IC + IC
--- --- --- à T-1 ; T ; T+1
TV TI TH
IC + IC + IC
--- --- --- à T-1 ; T ; T+1
TV TI TH
IC = identité connectée (pseudo, login, profil, ...)
TV = traces volontaires. Exemple : vous êtes l'auteur d'un blog, vous avez fait des commentaires, vous avez mis votre CV en ligne...)
TI = traces involontaires. Exemple : vous faites parti d'un groupe de bassin. Votre nom ainsi que celui de votre établissement figurent dans la liste des membres du groupe qui est publiée sur Internet
TH = traces héritées. Exemple : votre enfant tient un blog et il parle de vous sur celui-ci
T = temps, c'est-à-dire à un moment donné, celui où vous faites le point sur votre identité numérique.
TV = traces volontaires. Exemple : vous êtes l'auteur d'un blog, vous avez fait des commentaires, vous avez mis votre CV en ligne...)
TI = traces involontaires. Exemple : vous faites parti d'un groupe de bassin. Votre nom ainsi que celui de votre établissement figurent dans la liste des membres du groupe qui est publiée sur Internet
TH = traces héritées. Exemple : votre enfant tient un blog et il parle de vous sur celui-ci
T = temps, c'est-à-dire à un moment donné, celui où vous faites le point sur votre identité numérique.
NB. Merci à Mme Bollian, professeur de mathématiques au collège
de la Dombes pour nous avoir aidé à traduire en équation le concept
d'identité numérique.
1.3. Mes traces informatiques
A partir du moment où nous nous connectons à Internet, nous laissons systématiquement des traces, et ce même en ne faisant rien d'autre que de la simple consultation de sites. L'adresse IP
qui identifie chaque ordinateur connecté à Internet donne des
informations sur le lieu où nous nous trouvons, le temps que nous
restons connectés à Internet, les sites que nous visitons...
Lorsque nous naviguons sur Internet, des cookies s'installent sur la mémoire vive de notre ordinateur. Par la suite, ces cookies vont permettre de dresser notre profil en analysant simplement les sites que nous aurons visités: nos goûts musicaux, cinématographiques, nos lectures favorites, nos destinations de vacances, les moyens de transport que nous utilisons et les hébergements que nous préférons... Nos hobbies, par rapport aux forums de discussions que nous visitons; bricolage, cuisine, régimes alimentaires, jardinage..
Lorsque nous naviguons sur Internet, des cookies s'installent sur la mémoire vive de notre ordinateur. Par la suite, ces cookies vont permettre de dresser notre profil en analysant simplement les sites que nous aurons visités: nos goûts musicaux, cinématographiques, nos lectures favorites, nos destinations de vacances, les moyens de transport que nous utilisons et les hébergements que nous préférons... Nos hobbies, par rapport aux forums de discussions que nous visitons; bricolage, cuisine, régimes alimentaires, jardinage..
Ces traces sont laissées malgré nous et sont ensuite
utilisées à des fins commerciales: nous avons tous constaté un jour ou
l'autre que des publicités apparaissent sur la page d'accueil de notre
boîte e-mail par exemple, en reprenant les pages des sites que nous
avons récemment visités ou des sites similaires. Toutes ces informations
forment ce qu'on peut appeler nos traces involontaires.
Cependant, des informations concernant notre identité propre (notre sexe, notre tranche d'âge, la région dans laquelle nous vivons, notre catégorie socio-professionnelle...) sont également répertoriées lorsque nous remplissons des formulaires en ligne par exemple. Nous donnons délibérément des éléments permettant de compléter notre profil. De plus, chaque fois que nous écrivons un commentaire sur un blog ou un forum, que nous publions un texte, une photo, les éventuels travaux que nous mettons en ligne, nous fournissons encore des indications sur notre identité. Nous parlons donc ici de nos traces volontaires.
Cependant, des informations concernant notre identité propre (notre sexe, notre tranche d'âge, la région dans laquelle nous vivons, notre catégorie socio-professionnelle...) sont également répertoriées lorsque nous remplissons des formulaires en ligne par exemple. Nous donnons délibérément des éléments permettant de compléter notre profil. De plus, chaque fois que nous écrivons un commentaire sur un blog ou un forum, que nous publions un texte, une photo, les éventuels travaux que nous mettons en ligne, nous fournissons encore des indications sur notre identité. Nous parlons donc ici de nos traces volontaires.
Nos traces volontaires ajoutées à nos traces involontaires et à nos traces héritées constituent notre identité numérique.
1.4. Cartographie de nos activités sur le web 2.0
C'est avec l’émergence du Web 2.0 [5] dans les années 2005, que la question de l'identité numérique est devenue incontournable. Pour faire simple, disons qu’avec l’Internet des années 1995-2000 (que l’on pourrait appeler le web 1.0) nous étions surtout passifs, notre activité sur Internet se limitant généralement à la recherche et à la lecture de l’information. En ces temps reculés (!), la publication sur Internet était réservée à quelques uns, des professionnels comme les webmasters, les infographistes, les informaticiens.... Le renouveau de l’Internet dans les années 2000 a vu l'émergence de sites et d’applications tout en un à la prise en main très facile de qui placent désormais l’internaute au cœur de l’Internet, le rendant actif, écrivain en même temps que lecteur (par les commentaires), éditeur de contenu (par les blogs, les systèmes de gestion de contenu, …), fournisseur de contenu (par le partage de photos, de vidéos), membre de réseaux qu’il choisit, etc.
La prolifération de nos activités sur Internet a donc donné une nouvelle dimension à notre identité numérique, conséquence que Fred Cavazza a très tôt identifiée et qu’il a modélisée.
Cette cartographie de notre identité numérique est
comme un puzzle dont chaque pièce parle de ce que nous faisons
d'Internet et donc de qui nous sommes. Ainsi, lorsque nous consommons,
en vendant ou achetant un objet par exemple, nous racontons un peu de
notre histoire personnelle. Si vous vendez une tondeuse, c'est donc que
vous avez un jardin..... Parfois même vous joignez une photo à l'annonce
de l'objet, où l'on peut voir un peu de votre chez vous, le garage dans
lequel est stocké la tondeuse, le jardin où l'on a pris la photo. Si
avec le même pseudo vous avez donné ou demandé un avis sur un forum de
jardinage, alors n'importe quel inconnu sait que vous êtes à la
recherche d'une tondeuse de remplacement. Rien de classé « secret
défense » en somme, mais tout dépend des indices que vous donnez. Ces
indices sont des petits riens mais ils sont comme les pièces d'un puzzle
qui constituent une image de vous, plus ou moins exacte.
Probablement qu'à l’avenir, ce puzzle sera de plus en plus précis. En effet, les enjeux économiques du web poussent les fournisseurs de services sur Internet à chercher à connaître au mieux leurs clients afin de leur offrir des services de plus en plus adaptés. Le web 3.0, disent certains, sera basé sur la personnalisation de l’offre donc sur nos traces, volontaires et involontaires. Celles-ci serviront à développer de nouveaux services, à lire, à surfer différemment dans un web qui réagira à ce qu’on a déjà parcouru, lu, vu et entendu.
Parlant d’identité numérique, Fred Cavazza parle d’ »écosystème » parce que notre identité dépend autant de ce que nous faisons ou disons sur Internet que de ce que les autres en font ou en disent. Cette question de l’identité numérique a pris tellement d'importance qu'elle a donné naissance au marché de l’e-réputation (voir plus loin). Des experts promulguent leurs conseils et stratégies plus ou moins gratuitement pour générer au mieux cette image de nous. Mais en même temps qu'elle est devenue un marché, l'identité numérique est devenue objet d'étude pour les scientifiques et les chercheurs pour qui c'est un enjeu de société incontournable dans l'avenir. L'identité numérique pose la question de l'identité et renvoie à la relation de chacun à la société de l'information. Elle oblige aussi à se poser la question de la limite entre sécurité et liberté : pour que chacun puisse évoluer tranquillement sur Internet il faut qu'il y ait des sécurités, des systèmes qui vérifient, des contrôles. Notre liberté sur Internet se fait au détriment d'une forme de liberté.
Les enjeux sont donc importants et les scientifiques tentent de dresser au mieux la cartographie de notre identité numérique. Celle-ci se mue alors en toile d’araignée où l’internaute est pris au piège quoi qu’il fasse, quoi qu’il tente de faire pour contrôler son moi connecté. C’est le sentiment que l’on peut avoir à regarder le travail de Bruno Devauchelle http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=162
Probablement qu'à l’avenir, ce puzzle sera de plus en plus précis. En effet, les enjeux économiques du web poussent les fournisseurs de services sur Internet à chercher à connaître au mieux leurs clients afin de leur offrir des services de plus en plus adaptés. Le web 3.0, disent certains, sera basé sur la personnalisation de l’offre donc sur nos traces, volontaires et involontaires. Celles-ci serviront à développer de nouveaux services, à lire, à surfer différemment dans un web qui réagira à ce qu’on a déjà parcouru, lu, vu et entendu.
Parlant d’identité numérique, Fred Cavazza parle d’ »écosystème » parce que notre identité dépend autant de ce que nous faisons ou disons sur Internet que de ce que les autres en font ou en disent. Cette question de l’identité numérique a pris tellement d'importance qu'elle a donné naissance au marché de l’e-réputation (voir plus loin). Des experts promulguent leurs conseils et stratégies plus ou moins gratuitement pour générer au mieux cette image de nous. Mais en même temps qu'elle est devenue un marché, l'identité numérique est devenue objet d'étude pour les scientifiques et les chercheurs pour qui c'est un enjeu de société incontournable dans l'avenir. L'identité numérique pose la question de l'identité et renvoie à la relation de chacun à la société de l'information. Elle oblige aussi à se poser la question de la limite entre sécurité et liberté : pour que chacun puisse évoluer tranquillement sur Internet il faut qu'il y ait des sécurités, des systèmes qui vérifient, des contrôles. Notre liberté sur Internet se fait au détriment d'une forme de liberté.
Les enjeux sont donc importants et les scientifiques tentent de dresser au mieux la cartographie de notre identité numérique. Celle-ci se mue alors en toile d’araignée où l’internaute est pris au piège quoi qu’il fasse, quoi qu’il tente de faire pour contrôler son moi connecté. C’est le sentiment que l’on peut avoir à regarder le travail de Bruno Devauchelle http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=162
Chez d’autres, la toile d’araignée devient nébuleuse
comme avec les cinq formats de visibilité mis au point par Dominique
Cardon. Ce sociologue au laboratoire Sense d’Orange Labs, propose une
typologie des plateformes relationnelles du web 2.0 qui s’organise
autour des différentes dimensions de l’identité numérique et du type de
visibilité que chaque plateforme confère au profil de ses membres : http://www.internetactu.net/2008/02/01/le-design-de-la-visibilite-un-essai-de-typologie-du-web-20/
L’idée du chercheur est d’identifier au mieux les plateformes
sociales en fonction de notre objectif de visibilité. Il s’agit donc
plus de savoir de quoi on parle pour mieux maîtriser, mieux agir. Pour
certains, demain il ne sera pas possible de faire l’impasse sur la
question de l’identité numérique, que l'on ait ou non des choses à
montrer, à dire, ou à cacher. Eric Delcroix (directeur d'un master sur
les métiers du web à Lille 3, et coauteur de « Facebook, on s'y retrouve
».) écrit :
”Il faut s’inscrire sur les sites sociaux et se créer une
identité plutôt que de laisser les autres parler sur vous ou utiliser
votre patronyme. Même si on n’a pas une grande utilité de ces réseaux,
il s’agit d’occuper la place” [6].
Aborder la question de l’identité numérique devient donc
incontournable même si pour beaucoup la notion d'identité numérique
désigne simplement l'expression de l'identité civile et sociale d'un
individu dans le monde numérique. Pourtant, les deux ne coïncident pas :
d'une part, ce que l'on montre de soi sur Internet n'est pas
nécessairement fidèle à ce que nous sommes pour notre entourage physique
; d'autre part, les manifestions numériques participent à la
construction continue d'une identité qui n'est plus seulement l'identité
civile mais un « récit de soi à la fois mis en scène ».[7] Si on
reprend l'exemple de la tondeuse évoqué plus haut : ce n'est pas parce
que vous avez donné votre avis sur une tondeuse dans un forum de
jardinage que vous êtes un expert de la question ni que vous êtes un
passionné de jardinage ou de mécanique. Mais si cette information est la
seule disponible sur vous sur Internet alors, forcément, elle paraît
essentielle. Pourtant dans la vie réelle, elle n'est pas une information
qui permet de vous définir. En fait, si cela se trouve, ce n'est même
pas vous qui avez mis ce commentaire sur la tondeuse, mais votre mari
qui a utilisé votre pseudo ou un homonyme !
Face à cette complexité de l'univers numérique, il paraît essentiel
d'aider les élèves à savoir au moins de quoi il s'agit, voire de les
aider à savoir se mettre en scène.
Merci de m'avoir cité ;-) Une bonne veille sur son nom aide ;-) Juste un détail, je ne suis plus les responsable du master ayant quitté l'université ;-)
RépondreSupprimerMerci pour cet article très intéressant.. je note : Les enjeux sont donc importants et les scientifiques tentent de dresser au mieux la cartographie de notre identité numérique. Celle-ci se mue alors en toile d’araignée où l’internaute est pris au piège quoi qu’il fasse, quoi qu’il tente de faire pour contrôler son moi connecté. Aucun risque si les scientifiques sont honnêtes! le sont-ils?
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