No Managers = No future ? Pas si sûr
29/01/2014 Emmanuel Mas
Depuis que Zappos a supprimé à grand bruit tous les
managers dans son organisation, un mouvement, tout au moins médiatique,
semble se créer autour de cet objectif. L'utopie des communautés des
années 70 serait-elle de retour ? Maintenant je n'en suis plus si sûr.
Voici de quoi vous faire votre propre idée.
Virez les managers ! Lorsqu'en décembre 2011 l'article racoleur de Gary Hamel m'interpella dans la Harvard Business Review ,
mon intérêt se mêla de suspicion. Comme j'accompagne quotidiennement
des équipes dirigeantes qui cherchent à développer l'autonomie de leur
organisation, qu'il existât un exemple d'une société de 800 salariés
fonctionnant sans manager donnait à ces équipes du grain à moudre et à
moi une anecdote pour briller. Cependant, au vu de mes observations, la
réalité des organisations rendait ce sympathique exemple sans grande
portée. Ces illuminés de Californie resteront d'exemplaires isolés,
pensais-je. Ah Gary Hamel ! Ce vrai Guru restera un indécrotable idéaliste, toujours aussi fort pour le battage médiatique, ...
Aujourd'hui force m'est de constater que je me trompais.
Tout d'abord l'expérience Morning Star dure depuis 20 ans pendant
lesquels la société s'est développée de manière importante, premier
signe de réalisme. Ensuite un institut (1) a été créé autour du concept
clef de Self-management que décrit très bien Gary Hamel ; cet
institut permet à d'autres organisations de se mettre à l'école de
Morning Star. Mais à l'époque je ne distinguais là qu'un habile
marketing conjugué de la HBR, de Gary Hamel et de Morning Star, pas le signe d'un besoin plus large.
Je ne faisais d'ailleurs pas le lien avec des expériences similaires
trouvées tout d’abord à l’Ecole de Paris (2) puis dans le livre d'Isaac
Getz, Liberté&Cie (3) où plusieurs entreprises, certaines importante (GORE-TEX), d'autres française (FAVI) toutes très performantes vivaient "libérées" des
managers, pour reprendre les termes de l'auteur. Tout cela bien que je
l'eusses intégré comme de la culture managériale nécessaire et utile, je
continuais à le considérer incompatible avec la réalité que j'observais
tous les jours auprès des dirigeants...
Le temps passa.
En juin 2013, lors de la remise des trophées des Espoirs du management
(4), Poult gagna le concours pour avoir mis en place la
déhierarchisation (5). Dans ce concours la salle vote. Elle sélectionna à
une écrasante majorité cette initiative comme la plus porteuse. Moi
aussi d'ailleurs je votai pour Poult, y voyant une courageuse et
sympathique initiative isolée. Retrospectivement le lien paraît pourtant
évident : déhiérarchiser, c’est bien enlever des managers, les
managers.
Finalement en décembre 2013 je rencontrais deux dirigeants d'une
entreprises nantaise, Inov-on, qui s'essayaient à la mise en place des
concepts développés par Isaac Getz pour de vrai dans leur entreprise de
280 personnes, comme ils le racontent sur leur blog.
Les entendre à la fois modestes et animés, relater cette
expérimentation qu’ils décrivaient comme une aventure riche et
incertaine, je commencai à entrevoir un mouvement au-delà de l'effet de
mode ou de l'initiative isolée. Quelle énergie il fallait à ces
dirigeants pour s'aventurer à suivre ces quelques exemples idéalistes !
Alors je me suis renseigné. J'ai trouvé Treehouse qui après la semaine de 4 jours, passe au #nomanager comme son leader le raconte sur leur blog, puis Zappos à Las Végas, le déclencheur : c’est en lisant l’excellent article de Aimée Groth dans Quartz
que j'ai enfin perçu le lien. L'exemple de Medium (6), mais surtout les
échanges avec Gamevy (7) ont fini de me convaincre. Au passage j’avais
découvert que des confrères avaient élaboré une "technologie de management",
l'Holacracy, concept d'organisation complet pour se passer de managers,
celle-là même qui a été mise en place par Zappos. Son représentant en
France, IGI, a réalisé une BD on-line qui explique bien leur concept et leur manière de procéder.
Maintenant ma conviction est faite : il se passe quelque chose, un mouvement qui dépasse les concepts, d'Halocracy, de Self-management, de libération
ou quelque soit le nom qu'on lui donne. Un mouvement signe d'une
aspiration grandissante à travailler autrement dans les organisations,
à, pour parler net, assainir l'usage du pouvoir. Revoir la manière de
l'organiser, de le déléguer, de l'exercer. Ce mouvement prend corps dans
quelques organisations pionnières qui décrivent d'ailleurs toutes leur
changement comme une aventure, appparemment exhaltante, parfois
incertaine. Avec son flair d'écrivain, Alexandre Jardin l'a saisi depuis
de longs mois, lui qui recommande ce changement d'exercice du pouvoir
aux dirigeants de notre pays dans son dernier Roman (8) et plus
spécifiquement dans sa chronique récente sur ce qu'il nomme l'action indirecte du dirigeant.
Au-delà des figures de style, si je reste honnête, j'avais senti
depuis longtemps une aspiration chez certains dirigeants et beaucoup de
managers. Ma réelle prise de conscience concerne la réalité du mouvement
que cette aspiration engendre. Si tant d'entreprises s'y essayent en vrai c'est que le mouvement dépasse les bonnes intentions ou les théories.
Alors certes, raisonnablement il y a peu de chance qu'une méga
corporation comme P&G, Véolia ou Renault deviennent un jour des purs
#nomanagers cependant même ces énormes organisations ne pourront pas
échapper aux questions que ce mouvement ne manquera pas de susciter,
même en leur sein. Les difficultés de mise en place semblent
importantes, je pense y revenir bientôt, mais les expérimentations sont
là et il y a vraissemblablement des enseignements à en tirer, j'y
reviendrai également.
Maintenant j'en suis convaincu, le mouvement #Nomanager aura un futur, Gary Hamel le disait en 2011, il avait raison.
Chapeau maestro.
(1) Le Self-management Institute fondé par Chris Rufer le fondateur de Morning Star http://self-managementinstitute.org/
(2) L'Ecole de Paris du Management, que je décrivais en 2012,
cherche à promouvoir une vision "singulière du management.
Personnellement je la vois comme le seul réel contrepoint français à la
pensée dominante managériale venant de Harvard. Pour comprendre sa
philiosophie l'excellente interview de Michel Berry son fondateur se
trouve sur le blog des échos. (3) Vous pouvez trouver une recension du livre Liberté&Cie sur notre site Internet (4) Pour découvrir les bien nommées Espoirs du management voir la précédente tribune. (5) Pour comprendre le concept vous pouvez lire le billet du Gymnase du management (6) Medium
créée par Ev Williams, un des co-fondateurs de twitter, fonctionne sous
Holacracy. (7) Basé à Londres, après avoir retiré les titres puis les
managers la société vient de décider de se passer de contrat. Le blog tenu par les dirigeants de Gamevy : http://giantleap.me/ est passionant (en anglais). (8) Mes Trois Zèbres chez Grasset qui sont ses trois inspirateurs d'un autre mode de vie en général et de direction de la France en particulier.
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