Pierre Franck ChevetL'Autorité
de sûreté nucléaire présentait ce matin ses vœux à la presse. Ce qui ne
l'empêchait pas de turbiner à fond les manettes. Au troisième étage de
son siège, à Montrouge, le centre de crise est "gréé" depuis ce matin,
annonce en accueillant les journalistes le Président de l'ASN,
Pierre-Franck Chevet. (Photo AFP/Andreas Solaro).
Vérification faite, à la fin de la conférence de presse, à l'aide
d'une petite visite, le PC technique est effectivement en pleine
activité, en liaison avec le préfet de l'Ain et l'IRSN. Pourquoi l'Ain ?
Parce que l'exercice de crise — l'ASN en réalise une dizaine par an, un
rythme élevé — concerne la centrale nucléaire du Bugey. En fin de
matinée, personne ne peut dire comment cela va se terminer, mais les
scénaristes ont fait fort. «Prévision d'EDF: découvrement du cœur à 11h20, fusion du cœur à 13h10»,
lit-on sur la main courante affichée sur un écran géant. Résultat d'une
perte des pompes du circuit primaire (RCV), lit-on sur un tableau, et
donc la perte de la fonction de refroidissement du réacteur. D'où rejets
radioactifs dans l'enceinte de confinement. Pendant que les ingénieurs
du PC technique suivent la situation simulée, la salle du Collège des
Commissaires phosphore à toute vitesse, logique puisqu'avec un tel
scénario, il faut conseiller le Préfet sur les consignes d'évacuation de
la population proche, la mise à l'abri de celle plus lointaine, et sur
l'heure à laquelle on recommande d'avaler les pastilles d'iodes
distribuées par les pharmacies ou la poste. Sur place, près de la
centrale, les pompiers et les gendarmes simulent les actions prévues par
le Plan particulier d'intervention.
Une pyramide des âges à problèmes
Retour aux vœux du Président de l'ASN, dont l'action vise justement à
ce que tous ces préparatifs ne soient jamais utilisés autrement qu'en
simulation et en exercices. Pierre-Franck Chevet a choisi d'attirer
l'attention des journalistes sur ses «positions fortes sur des sujets
majeurs» publiées en 2013, et leur a distribué une image des «noyaux
durs» décidés après l'accident de Fukushima Daï-ichi au Japon. Voici ma
sélection :
Sa contribution au débat sur la "transition énergétique". L'ASN n'a pas
pris de gants avec le gouvernement et les élus, avec son avis du 16 mai
qui souligne le risque de perte brutale de la production de "5 à 10
réacteurs", si un défaut générique majeur, justifiant de sa part une
décision d'arrêt, survenait sur un groupe de réacteurs homogènes.
La standardisation de leur fabrication et installation, pour les
réacteurs de 900 MW, puis de 1300 MW, ont permis de substantielles
économies à l'époque. Mais, revers de la médaille, un défaut commun peut
se traduire par la nécessité de stopper tous les réacteurs le
comportant. Conclusion de l'ASN: toute politique énergétique doit donner
au système électrique des réserves lui permettant de faire face à un
tel aléa. Les réserves pouvant être de production, en France ou dans les
pays limitrophes, ou par l'effacement de consommation. Pour mieux se
faire comprendre, l'ASN distribue une pyramide des âges des centrales
qui montrent qu'en 1980-81 pas moins de 13.500 MW (et 15 réacteurs) ont
été mis en service. Et 17.100 MW entre 1984, 85 et 86. Lire ici cet avis.
► Concernant la demande d'EDF d'une prolongation au delà de 40 ans l'exploitation de ses réacteurs, Chevet a de nouveau affirmé «ce n'est pas acquis».
Et d'annoncé un avis générique pour 2015. Puis de premiers avis pour
chaque réacteur concerné les années suivantes. L'avertissement? L'ASN
jugera de la sûreté
des réacteurs en fonction des exigences plus élevées qu'elle a
présentées pour l'EPR en construction à Flamanville (le chantier vient
de passer un cap décisif avec la mise en place de la cuve).
Il y aura donc des travaux, notamment pour renforcer la sûreté des
piscines de rétention des combustibles usés. Un exemple d'exigences
nouvelles: la cuve de Tricastin-1 devra être de nouveau inspectées à 35
ans et non seulement à 30 et 40 ans. Pour le détail, lire cette lettre à la direction d'EDF, envoyée le 28 juin.
Noyaux durs, la mise en place
► Pour le sujet du stockage géologique profond de déchets dit HAVL
(haute activité à vie longue, les plus radioactifs, issus des
combustibles usés), l'ASN a présenté un avis le 16 mai (ici) qui insiste
en particulier sur la nécessité pour l'Andra de conserver une gamme
d'options ouvertes quant aux paramètres techniques des alvéoles où les
déchets seront stockés afin de faire face à un changement
"d'inventaire" en cas de modification des politiques énergétiques. En
clair, la politique actuelle de recyclage des combustibles usés et de
conservation du plutonium pour les combustibles MOX et des réacteurs à
neutrons rapides permet certes de stocker des cylindres de verres mais
si elle est abandonnée, il faudra stocker les combustibles usés tels que
sortis de réacteurs. Les choix techniques doivent permettre de faire
face aux deux termes de l'alternative, avertit l'ASN. Lire ici l'avis. Chevet n'a rien dit sur le fiasco du débat organisé par la Commission nationale du débat public sur le projet CIGEO.
L'image
ci-contre illustre les "noyaux durs" dont la mise en place a été décidé
par l'ASN comme conséquences de ses réflexions post-Fukushima. On y
voit la mise en place d'une source froide ultime, d'une source d'eau
ultime, d'un diésel de secours ultime, d'un centre de crise local
bunkérisé, d'une alimentation de secours des générateurs de vapeur (qui
peuvent être utilisés pour refroidir les réacteurs). Après mûre
réflexion, l'ASN a indiqué à EDF que les matériels de ces noyaux durs
doivent être capable de résister au séisme maximal local survenu depuis
20.000 ans (la norme pour les réacteurs, lors de la construction, était
de 10.000 ans). D'autre part la source froide devra être capable de
refroidir non seulement le cœur des réacteurs, mais aussi l'enceinte de
confinement afin d'éviter une surpression et la décision d'évacuer de
l'air contaminé via les filtres vers l'atmosphère. Thomas Houdré, le
chef de la division centrales nucléaire annonce un calendrier de mise en
place pour ces noyaux durs qui court jusqu'en 2018 pour les diésels
d'ultime secours et 2019 pour les centres de crise bunkérisés ou les
sources d'eau ultimes.
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