Par Hadrien Gonzales le 27/02/2014 à
Installée
en face de la gare depuis 1930, cette institution gastronomique, trois
étoiles au Michelin, déménagera en 2017 dans un très chic domaine en
pleine campagne, à 10 kilomètres de là.
La Maison Troisgros
plierait donc les gaules? L'annonce a fait, mercredi, l'effet d'une
petite bombe dans le landerneau gastronomique. Et pour cause, cette
institution, trois étoiles au Michelin,
est fièrement installée face à la gare de Roanne depuis 84 ans. Dès
2017 pourtant, le restaurant devrait déménager dans un manoir doté d'un
parc de 17 hectares, à 10 kilomètres de là, dans la commune d'Ouches.
«C'est un beau domaine avec de l'espace, du silence, de la lumière… Nous
pourrons même y installer un spa et une piscine», confiait Michel Troisgros au Figaro
mercredi matin. L'investissement atteint les 7 à 8 millions d'euros,
puisés dans la cagnotte familiale. Fort de cette nouvelle adresse, le
chef devrait ainsi rivaliser avec les plus beaux établissements
français. En ligne de mire: Olivier Roellinger à Cancale, Georges Blanc
à Vonnas ou encore Michel et Sébastien Bras à Laguiole. Comme à Roanne,
le restaurant accueillera 50 à 60 couverts. La table se doublera d'une
dizaine de chambres de luxe contre 17 actuellement. «Nous allons
commencer doucement, glisse Michel Troisgros. L'hôtellerie, c'est
indispensable pour un restaurant en Province. C'est ce qui fait tourner
la machine.»
Dans l'assiette, le feu et la braise insuffleront des
notes primaires et fondamentales. Pas de grand chambardement toutefois.
Les becs fins retrouveront le fameux saumon à l'oseille et son acidité
vivace ou les exotiques «cuisses de grenouilles poêlées, un satay de
tamarin».
«L'empreinte du territoire est primordiale pour nous.
Troisgros à Roanne, c'est comme la tour Eiffel à Paris», lance le
cuisinier. Autant dire que le changement qui se profile peut se révéler
périlleux. «Le risque aurait été de ne rien faire, reprend le chef. Nous
sommes locataires, nous n'avons jamais pu acheter les murs. C'est
étouffant, asphyxiant.» La famille a préféré prendre le large plutôt que
de se lancer dans d'importants travaux de mise aux normes prévus pour
2015. Le Central, la brasserie adjacente, ne bougera pas d'un iota.
Passage de témoin
En
1930, Marie et Jean-Baptiste Troisgros s'installent à
l'Hôtel-Restaurant des Platanes, pile-poil en face de la gare de Roanne,
et fondent la Maison Troisgros. Installés aux fourneaux dès 1957, leurs
deux fils Pierre et Jean, les célèbres «Frères Troisgros», décrochent
leur troisième étoile en 1968. La même année, le critique Christian
Millau lance: «J'ai découvert le meilleur restaurant du monde.» Depuis,
l'adresse n'est jamais redescendue de son firmament. Lorsque Jean décède
en 1983, la ville lui rend hommage en rebaptisant la place de la gare
«place Jean-Troisgros». Michel entre aussitôt dans la danse pour épauler
son père, Pierre, en cuisine.
Curieusement, l'histoire du passage
de témoin est en train de se rejouer. Depuis juillet 2012, l'aîné César
Troisgros officie au poste de second de cuisine. «Il participe de plus
en plus à l'évolution du restaurant. Il est très, très concerné,
passionné dans sa réflexion», déclare Michel Troisgros. Quant à Léo,
21 ans, il termine actuellement sa deuxième année au prestigieux
Institut Paul Bocuse de Lyon. La relève est assurée. Les 50 employés de
Roanne suivront le chef dans sa nouvelle escale. L'effectif sera même
augmenté de quelques postes clés, comme celui de paysagiste.
«Le
bâtiment principal ressemble à ces maisons que l'on trouve au bord des
lacs en Italie. Cela doit me rappeler ma mère», confie Michel Troisgros.
Quant au reste du parc, il forme un petit hameau composé d'une longère,
une grange et de magnifiques bâtiments agricoles. Ces derniers seront
maintenus dans leur intégrité. «Ces constructions sont belles parce
qu'elles sont modestes», lance le cuisinier. Un verger et un potager
compléteront le décor. «Ma femme Marie-Pierre et moi avons un faible
pour la pomme de terre. Nous avons hâte de cultiver nos propres
spécimens!»
À la mairie d'Ouches, l'enthousiasme est palpable. «On
discute de cette affaire depuis novembre, confie-t-on au bout du fil.
Nous avons fait une dérogation pour la mise en conformité du plan
d'urbanisme. L'arrivée de Michel Troisgros promet de donner un coup de
projecteur inestimable sur notre petite ville de 1 100 habitants.» Et le
chef de poursuivre: «Les choses sont tombées au bon moment. Nous nous
étions déjà rendus sur place en 1997. À l'époque, le lieu nous faisait
déjà rêver mais nous n'étions pas mûrs pour acheter. Quand nous avons
appris, il y a quelques mois, que sa propriétaire la remettait en vente,
nous avons sauté sur l'occasion.» Le permis de construire devrait être
délivré cet été. Le cuisinier a fait appel à une pointure de
l'architecture: son ami l'architecte Patrick Bouchain a déjà œuvré à la
Colline du Colombier, l'annexe campagnarde inaugurée il y a six ans, à
Iguerande (à 18 km au Nord de Roanne). La cuisine qui sortira bientôt de
terre devrait relier les différents corps de bâtiments. Elle prendra la
forme d'une demi-lune, d'un amphithéâtre: Michel Troisgros sera comme
un chef d'orchestre face à ses musiciens. «Ce sera une cuisine
lumineuse, c'est sûr. Conviviale, c'est sûr aussi. Heureuse? On le
souhaite!», lâche-t-il en riant.
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