lundi 30 septembre 2013

Cette vie privée qui ne l’est plus


Cette vie privée
qui ne l’est plus
Le 20 09 2013 Par Pierre Olivier CARLES

Il y a trois ans, un de mes amis m’explique qu’il va planter davantage d’arbres autour de sa maison car il veut la masquer totalement pour préserver sa vie privée et son intimité. Je sors mon téléphone, lance Google Maps et lui montre, vu du ciel, son jardin, sa maison, sa piscine avec les transats autour, ses deux voitures garées dans l’allée… La photo est récente, d’une qualité remarquable, aussi nette que l’expression de stupéfaction sur le visage de mon ami. Ce n’est pas une technologie lourde, ce n’est que mon téléphone dont le modèle est vendu par dizaines de millions d’exemplaires, avec un logiciel qui est lui, distribué par centaines de millions d’unités.
L’univers de mon ami s’est effondré ce jour-là, le notre aussi il y a des années déjà. Je vais vous donner quelques exemples, une poignée là où il en existe des milliers, en prenant soin de rester très grand public et aussi loin que possible de la géopolitique (mais tapez le hashtag #NSA dans Twitter et vous aurez de quoi lire…).
Google connait l’emplacement de la majorité des point d’accès Wifi de la planète, de son propre aveu. Il est probable que ce soit le cas également d’Apple et, dans une moindre mesure, de Microsoft.
Les agences de renseignements aux Etats-Unis écoutent – quasiment – l’ensemble des conversations téléphoniques, lisent presque tous les emails, peuvent casser la plupart des clés de cryptage, suivent les déplacements des individus dans le pays via un système de tracking des plaques d’immatriculation, et peuvent également scanner l’ensemble des dépenses de votre VISA (AMEX et Mastercard ne sont pas mentionnés) ou par les virements SWIFT (non confirmé encore mais très crédible) que vous avez ordonné.
Avec seulement 3 points de localisation, on peut retrouver l’identité d’un individu. La majorité d’entre nous a autorisé des applications – parfois réalisées par des éditeurs inconnus – à localiser notre téléphone ou notre navigateur Web en permanence. Heureusement que vous savez ce qu’ils font avec ces données puisque vous avez lu très attentivement leurs CGU – où ce n’est d’ailleurs généralement pas précisé – avant de les accepter en ayant pleinement conscience que vous veniez de « signer » un contrat…
Les téléphones Android, mais aussi les Google Glass ou la XBox écoutent en permanence tout ce qui se dit autour d’eux, ne serait-ce que pour pouvoir démarrer lors d’une commande vocale. Vous avez donc un mouchard potentiel dans votre salon ou dans votre poche, quand vous parlez politique ou faites l’amour, quand vous grondez vos enfants ou expliquez à votre femme de ménage que vous allez la payer au black… « OK Glass, confirm I’m fucked up »
Je vais arrêter là. Je pense que vous avez bien compris l’idée.
Depuis quelques temps, nos politiques de tous bords se disent que nous devrions légiférer pour protéger notre vie privée, parce que cela pourrait avoir des conséquences dramatiques si personne ne fait rien. C’est d’autant plus vrai en France, où nous avons érigé le principe de précaution en une sorte de règle supra-constitutionnelle qui prévaut sur tout le reste, y compris le bon sens. La protection de la Vie Privée est ainsi systématiquement abordée sous l’angle le plus négatif que l’on puisse imaginer et nos censeurs-législateurs se retrouvent ainsi, en bande, sur la plage, à jeter des boules de sables dans les vagues pour empêcher la marée de monter.
Je fais partie de ceux qui pensent que nous ne pouvons plus protéger la Vie Privée car les bénéfices que nous offrent les technologies que nous utilisons sont tels qu’il n’y a pas de réel retour en arrière possible. Nous avons inconsciemment convenu jusqu’à présent que c’est le prix à payer, c’est à dire que l’abandon de ces informations était acceptable. Mis en perspective, les appareils connectés que nous utilisons en sont encore à l’âge de pierre que déjà nous arrivons à peine à les poser. Projetez-vous dans une dizaine d’années, ce sera suffisant pour vous donner le vertige.
De ce fait, on ressent, lentement, un début de prise de conscience sur l’intérêt plus que les conséquences du partage à tout va, notamment sur les Médias Sociaux. On sent – pas encore dans les chiffres mais cela viendra – une étincelle de maturité chez « les gens », un soupçon de sensibilité aux questions de Privacy qui est nourri par une lassitude du partage à tout va. Si ces 10 dernières années étaient celles du partage massif, les 10 qui viennent seront celles de la recherche de contrôle.
Mais il est déjà trop tard. Les entreprises et les gouvernements sont devenus des Junkies incapables d’envisager le sevrage. Nous leur avons donné les premiers rails de data et ils en veulent davantage, l’ivresse du savoir qui accompagne ces données et la sensation de pouvoir allant avec est trop grisante. S’il y a un début de prise de conscience chez les individus, peu importe ; la collecte d’informations sera bien de plus en plus massive, mais deviendra invisible et indolore pour tout un chacun. Le combat de la protection de la vie privée est ainsi de ceux qu’on ne peut plus gagner, peut-être à l’échelle d’un pays dont les dirigeants seraient particulièrement responsables, pas à l’échelle d’une planète entièrement connectée et aussi déséquilibrée économiquement.
Toutefois, si la lutte n’est pas égale et que ce combat est perdu avant d’avoir vraiment commencé, cela ne signifie en rien que nous dussions baisser les bras.
Prenons un exemple extrème, histoire de bien grossir le trait, et un exemple extrème en matière de vie privée, c’est un exemple autour de la santé. Imaginons un instant une transparence totale de notre dossier médical, géolocalisée et en temps réel. L’analyse de ces données pourraient nous aider à prévenir – ou même mieux comprendre donc guérir – certaines affections, des épidémies ou dans le même élan, de mesurer, sur un quartier ou un continent, avec une précision chirurgicale, les conséquences de nos nouveaux modes de vie à très grande échelle… et avant qu’il ne soit trop tard !
La vraie question n’est pas de savoir si vous devez être informé que j’ai un cancer (je rassure mes proches, je vais bien, ce n’est qu’un exemple) mais plutôt de contrôler ce que vous allez faire de cette information. Si vous êtes mon patron, allez-vous me virer ? Si vous êtes mon assureur, allez-vous augmenter ma cotisation ? Si vous êtes mon banquier, allez-vous m’empêcher d’emprunter ? Si vous êtes un de mes investisseurs, allez-vous prendre un nouveau CEO pour préserver votre investissement ? Si vous êtes des amis, allez-vous chuchoter à l’oreille d’autres amis en me regardant en coin, d’un air gêné avant de trouver des excuses pour échapper aux prochains diners ?
Evidemment, ce passage de ma note est exagéré. J’aurais pu aborder la religion ou l’homosexualité pour le modérer un peu… Non, je plaisante, ce serait surement pire.
Plus sérieusement, je pense que le débat ne devrait pas porter sur la protection de la Vie Privée mais plutôt sur le meilleur usage que l’Humanité pourrait faire de ce gigantesque volume d’information pour apprendre, guérir, innover, améliorer… Dans un même temps, le législateur pourrait ainsi s’intéresser à la meilleure manière de prévenir un mauvais usage de ces informations et, à défaut d’arriver à le prévenir, à la meilleure manière de sanctionner ce mauvais usage.
En fait, j’attend de nos leaders qu’ils appréhendent le sujet, non pas pour les 5 ans à venir, mais plutôt pour les 50 ans. Je ne dis pas que c’est une tâche facile et je vous assure que si j’avais la solution, je serai heureux de la partager avec vous, mais je suis certain que c’est insurmontable si on commence par se poser de mauvaises questions.
Et pour finir en citant quelqu’un dont j’ai oublié le nom mais que n’importe qui s’intéressant un peu aux questions de Big Data a déjà entendu : « L’enjeu véritable n’est pas l’information mais l’usage que l’on en fait ».

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