dimanche 24 novembre 2013

Comment devenir vraiment résilient?



Comment devenir vraiment résilient?
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le 09-09-2013 Olivier Schmouker

La résilience. Oui, cette fameuse faculté que nous avons à nous rebâtir après un ouragan. Une équipe, ou même une entreprise, est-elle capable de résilience? Oui, bien sûr, tout comme un être humain, me direz-vous. Mais voilà, j'ai une autre interrogation, qui va un peu plus loin : une équipe, ou une entreprise, est-elle en mesure d'améliorer sa résilience? (Et si oui, comment?) La réponse se trouve, je pense, dans une étude intitulée How to design for strategic resilience – A case study in retailing. Celle-ci est signée par Liisa Välikangas, professeure de management à l'Université Aalto d'Helsinki (Finlande), et Georges Romme, professeur de sciences de l'innovation et d'ingénierie à l'Université de technologie d'Eindhoven (Pays-Bas). Cette étude porte sur une firme américaine dont l'identité n'est pas divulguée, mais je mettrais ma main au feu qu'il s'agit de Best Buy: les deux chercheurs fournissent de nombreux indices à son sujet, dont le fait qu'il s'agit du leader de la vente de produits électroniques aux États-Unis (ce qu'est Best Buy, avec une part de marché de 34% en 2013). Elle montre comment cette multinationale est devenue une entreprise résiliente, une histoire exemplaire dont je vais partager avec vous l'essentiel… En 2004, le PDG de Best Buy, Brad Anderson, est tombé sur un article de journal qui a changé sa vie. Celui-ci parlait de résilience. Cela l'a fait réfléchir, et il en est arrivé à la conclusion que son entreprise, en cas de gros coup dur, n'était vraisemblablement pas en mesure de s'en remettre. Et en tant que numéro 1 de son marché, il était inévitable qu'un tel coup survienne, tôt ou tard… Du coup, M. Anderson a décidé de prévenir, au lieu de devoir, un beau jour, tenter de guérir. Il a pris la ferme décision de rendre son entreprise résiliente. Comment s'y est-il pris? L'étude de Mme Välikangas et M. Romme le décrit dans les moindres détails, en s'appuyant sur de nombreuses sources privilégiées, comme : le témoignage d'une haute-dirigeante directement impliquée dans le processus; des entrevues avec des managers et des employés; des sondages auprès du personnel et autres études internes; etc. Ainsi, en novembre 2004, le PDG de Best Buy a publiquement annoncé qu'il allait prendre des mesures pour s'assurer de rester le leader de son marché, quoi qu'il arrive à l'avenir. Le mois suivant, il a dévoilé son idée à ses plus proches collaborateurs : transformer l'entreprise de l'intérieur, pour la rendre résiliente. En janvier 2005, la haute-direction de Best Buy s'est réunie pour réfléchir sur le concept de résilience et imaginer des moyens à mettre en œuvre pour permettre à l'entreprise de l'insérer dans son ADN. Cela s'est immédiatement traduit par la nomination d'un responsable de projet, lequel a concocté une petite équipe pour remplir la lourde mission qui lui revenait. Dans un premier temps, l'équipe spéciale a évalué la situation : il lui fallait savoir quel était le but à atteindre et quelle était la distance à parcourir pour cela. Cette évaluation a notamment été faite grâce à des entrevues menées en février auprès de 21 managers. Il en est ressorti, entre autres, que l'entreprise souffrait de plus en plus de "bureaucratie", ce qui l'empêcherait de réagir vite et bien en cas de futur coup dur. Puis, l'équipe spéciale a monté une exposition destinée à faire prendre conscience aux managers et aux employés de la gravité de la situation. Cette exposition se présentait sous la forme d'un hôpital : en le parcourant, on découvrait tous les maux dont souffrait Best Buy. Quelque 4 000 personnes l'ont visité, et en sont ressortis marqués. Le choc principal était que nombre d'entre eux pensaient l'entreprise invincible, alors qu'elle était en réalité fragile. Dans les mois qui ont suivi, l'équipe spéciale a recruté des volontaires pour mener d'autres opérations. Par exemple, il y a eu deux Management Innovation Jam durant le printemps, c'est-à-dire des sessions de réflexion ouvertes à tous destinées à trouver des idées neuves pour améliorer le management au sein de l'entreprise. Des sessions qui ont donné des résultats fort intéressants, comme vous pouvez en juger par vous-mêmes :
> Un eBay du capital humain : une plateforme virtuelle où l'on pourrait combiner ensemble les idées et les talents de l'entreprise.
> TagWiki : une plateforme virtuelle où l'on pourrait bâtir des communautés d'intérêts et où les communications seraient ouvertes à tous.
> Dragon rouge : une plateforme virtuelle où l'on pourrait discuter librement des idées des uns et des autres.
> LOUP (en anglais, WOLF, pour Women's Leadership Forum) : un réseau interne d'appui et de soutien envers les employées afin de propulser leur carrière au sein de l'entreprise.
> Etc.

Durant l'année 2005, le nombre de volontaires a grimpé jusqu'à environ 250. Ceux-ci se devaient de promouvoir les idées retenues auprès de leurs collègues. Autrement dit, ils devaient veiller à faire avancer les choses. L'opération a duré 18 mois. Qu'a-t-elle donné? D'après les deux chercheurs, les retombées ont été multiples, dont voici les deux principales :
> Un engagement décuplé. La vision que les employés avaient de leur rôle au sein de l'entreprise a changé du tout au tout. Un exemple, parmi d'autres : un vendeur d'un magasin établi dans une ville portuaire a eu l'idée d'offrir un service spécial aux matelots qui ne pouvaient descendre de leur bateau, faute de visa; il allait leur vendre le matériel à bord; cette simple idée a boosté les ventes de ce magasin; et l'idée a été reprise dans d'autres magasins de Best Buy, avec succès.
> Une plus grande résilience. En 2008, les États-Unis ont été frappés par une récession économique dont ils ne sont toujours pas vraiment sortis. Le choc a été terrible, en particulier pour le commerce de détail.  
Résultat? Le principal concurrent de Best Buy a fait faillite en 2009. Quant à l'entreprise de Brad Anderson, elle a survécu à la tempête. «Le changement de culture de l'entreprise entrepris quelques années auparavant est ce qui nous a sauvé : tout le monde a mis l'épaule à la roue, dans un même élan, ce qui n'aurait pas été imaginable auparavant», a confié un haut-dirigeant de Best Buy aux deux chercheurs.
Conclusion? Mme Välikangas et M. Romme considèrent que toute entreprise souhaitant devenir plus résiliente doit cultiver trois qualités avant que les premières bourrasques annonciatrices de l'ouragan ne se fassent sentir :
1. Douter. Au lieu d'établir une stratégie rigide pour les années à venir, mieux vaut se préparer à l'inconnu, et en particulier au pire. Oui, mieux vaut douter des temps prochains et de sa capacité à y faire face, plutôt que de se croire éternellement le meilleur du monde.
2. Se relâcher. Nous sommes sans cesse en train de viser des gains à court-terme, et perdons du même coup une vision d'ensemble. Une erreur que l'on peut payer lourdement, lorsque survient un ouragan. D'où l'intérêt d'arrêter de courir pendant un moment, de laisser filer les gains à court-terme, pour se préparer aux coups durs à venir. Mieux vaut, donc, relâcher un instant ses efforts pour se fortifier en prévision de pénibles lendemains.
3. S'engager. Une fois la décision prise de devenir plus résilient, il convient d'embarquer tout le monde dans le projet et de tenir ferme dans les changements que cela va nécessairement occasionner. Sans un engagement inébranlable, l'opération ne pourra pas être couronnée de succès.

Voilà. Maintenant, à vous de jouer pour vous assurer de traverser la prochaine tempête sans trop de casse.
En passant, William Shakespeare a dit dans La Vie et la mort de Richard II : «Les petites pluies sont longues, les tempêtes soudaines sont courtes».

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