mardi 28 janvier 2014

Le pouvoir rend-il moins empathique?


Le pouvoir rend-il moins empathique?
03-09-2013 Olivier Schmouker




Soyons honnêtes, d'accord? J'ai une petite interrogation pour vous, aujourd'hui : «Qui d'entre nous n'a jamais vu un collègue amical devenu boss se transformer du jour au lendemain en parfait salaud?» La réponse, nous la connaissons tous. Maintenant, allons un peu plus loin : «Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi cette transformation avait eu lieu?» Là, la réponse est moins évidente. Certains vont dire que c'est la fonction qui veut ça, que cela vient de sa maladresse à entrer dans la peau d'un chef, etc. Blah blah blah. L'explication? Elle se trouve dans notre cerveau. Trois chercheurs ont eu la curiosité de regarder ce qui se passait dans notre cerveau lorsque nous sommes en situation de pouvoir sur autrui. Il s'agit de : Sukhvinder Obhi, professeur de psychologie et de marketing à l'Université Wilfrid-Laurier à Waterloo (Canada), assisté de son étudiant Jeremy Hogeveen; et Michael Inzlicht, professeur de psychologie à l'Université de Toronto (Canada). Comment s'y sont-ils pris? Le plus simplement du monde. Ils ont demandé à 45 volontaires de s'installer chacun dans un cubicule, devant un ordinateur. 
Dans un premier temps, il leur a fallu rédiger un court texte sur un sujet bien précis, ce qui permettait de ranger les participants dans trois catégories distinctes :
> Impuissants. Certains des participants devaient raconter en détails un moment de leur vie où quelqu'un avait un pouvoir total sur eux.
> Neutres. D'autres devaient décrire ce qui leur était arrivé de marquant la veille.
> Puissants. Les autres devaient raconter en détails un moment de leur vie où ils avaient eu un pouvoir total sur autrui.

Dans un second temps, chacun a dû regarder sur l'écran de l'ordinateur un vidéo royalement ennuyeuse : une main droite en train de compresser lentement une balle en mousse, puis de relâcher la pression tout aussi lentement, et ce, sept fois de suite. À noter que chaque participant était alors doté de capteurs placés à des endroits précis de la tête, histoire d'en relever l'activité cérébrale. L'objectif consistait à observer l'éventuelle activation des neurones miroirs des participants. Les neurones miroirs? C'est une catégorie de neurones qui s'activent lorsque nous entreprenons une action ainsi que lorsque nous observons quelqu'un entreprendre une action, d'où le terme de miroir. C'est grâce à eux, par exemple, que nous sommes capables d'apprendre par imitation : quand l'enfant regarde le professeur écrire une belle lettre "a" au tableau, il fait fonctionner ses neurones miroirs pour s'imaginer en temps réel à la place du professeur en train d'écrire la belle lettre "a", ce qui va lui permettre, dans la seconde qui suit, de répéter le mouvement sur son cahier d'écolier. C'est aussi en grande partie grâce à eux que nous sommes capables d'empathie. Car les neurones miroirs nous permettent de percevoir l'émotion d'autrui, de l'identifier et surtout de la ressentir à notre tour, par procuration. Prenons un exemple : la partie antérieure du lobe de l'insula est une partie de notre cerveau qui entre en action dès lors que nous éprouvons du dégoût, mais aussi lorsque nous voyons autrui exprimer du dégoût. Là, les trois chercheurs ontariens cherchaient à savoir ce qui se passait dans notre tête lorsque nous regardons quelqu'un entreprendre une action banale (compresser une balle en mousse), selon que l'on était mentalement conditionné à se sentir puissant ou impuissant.

Résultats? Renversants…
> Empathiques. Les participants qui se sentaient impuissants ont vu leurs neurones miroirs s'activer à la simple vue d'une main accomplissant une tâche répétitive et ennuyeuse. C'est-à-dire qu'ils ont ressenti de l'empathie pour la personne qui faisait ça sous leurs yeux.
> Indifférents. Les participants qui se sentaient puissants, eux, n'ont pas vu leurs neurones miroirs s'activer. 
Ils n'ont ressenti aucune empathie.
Qu'est-ce à dire? Que le pouvoir amoindrit notre capacité naturelle à l'empathie. Que toute personne en situation de leader perd la faculté – qu'il avait auparavant – de se mettre mentalement à la place d'autrui, en particulier lorsque celui-ci souffre ou a de la peine. Que l'on se blinde alors en devenant indifférent.
Cette conclusion va en faire bondir plus d'un, je l'imagine bien. C'est normal : qui est capable de reconnaître qu'il change, disons, en mal? Personne, c'est humain. La bonne nouvelle, dans tout ça, c'est que cette transformation n'est pas irréversible. En effet, un nouveau leader est tout à fait en mesure de corriger les effets négatifs de la transformation qu'il vit, d'après l'étude de MM. Obhi, Hogeveen et Inzlicht. Comment? En multipliant les contacts humains. En se rapprochant plus que jamais de ses collaborateurs, en prenant le temps de discuter avec eux, en s'intéressant profondément à eux. Bref, en ouvrant son cœur. C'est aussi simple que ça. En passant, le pape Jean-Paul II aimait à dire : «Vous valez ce que vaut votre cœur».

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