mardi 4 février 2014

L'inquiétant vieillissement de l'outil industriel français

F. Ménager pour « Les Echos »\'

L'inquiétant vieillissement de l'outil industriel français
Par Daniel Fortin 04/02/2014

 

 

 

 

Si l'infernale mécanique de la désindustrialisation, à l’œuvre dans tous les pays occidentaux, semble plus rapide en France qu'ailleurs, c'est que notre pays a pris du retard dans l'automatisation de ses usines.

Pour une usine, il y a mille et une façons de mourir. Ecrasée par les charges, balayée par la concurrence asiatique ou, tout simplement, étranglée par l'absence de débouchés. Mais il en est une qui est peu évoquée, bien que centrale dans le processus de désindustrialisation que connaît aujourd'hui la France : une usine peut aussi mourir de vieillesse. 263 d'entre elles ont encore disparu du sol français l'an dernier, selon les chiffres publiés le 28 janvier dernier par le cabinet Trendeo. En apparence, un léger mieux par rapport aux 267 recensées l'année précédente. Mais tout de même. L'inexorable déclin de l'outil industriel français se poursuit. Les chiffres sont connus : de 5,1 millions en 1980, les emplois industriels sont tombés à moins de 3 millions fin 2012. Quant à la part de l'industrie dans la valeur ajoutée en France, elle a été divisée par 2 sur la même période, de 20,6 % à moins de 10 %. Ce taux est désormais l'un des plus faibles de la zone euro. Il y a donc bien une spécificité française qui fait que l'infernale mécanique de la désindustrialisation, à l'oeuvre dans tous les pays occidentaux, y semble plus rapide qu'ailleurs.
Pourquoi ? Plusieurs raisons sont évoquées. La plus connue : la perte de compétitivité de notre pays, éreinté par les charges qui n'ont cessé de s'empiler sur le travail. Ce constat, désormais unanimement admis, est au centre de la politique actuelle du gouvernement en direction des entreprises, qu'il s'agisse du Cice ou du pacte de responsabilité en cours de négociations entre les partenaires sociaux. S'y ajoute une autre faiblesse, mise en lumière par l'économiste Patrick Artus : le défaut de spécialisation de notre industrie, trop centrée sur la production de produits « tout-venant » et pas assez haut de gamme. Une tendance qui expliquerait, selon lui, le désastre de notre commerce extérieur. Il y a enfin une autre thèse, plus récente, portée par le consultant Robin Rivaton dans une note remarquée publiée en décembre 2012 pour le compte de la Fondapol, la Fondation pour l'innovation politique (1). Selon lui, la France serait tout simplement en retard dans l'automatisation de ses usines. « L'appareil de production français souffre d'une double maladie, écrit-il. Des investissements industriels parmi les plus faibles de l'OCDE rapportés au PIB mais aussi des décisions d'investissement centrées sur le renouvellement plutôt que sur l'innovation conduisant à l'obsolescence des outils de production. » Résultat : le stock de robots installés fin 2011 était de 34.500, quatre fois moins élevé qu'en Allemagne et presque deux fois moins élevé qu'en Italie. Le plus étonnant, si l'on en reste au stade des comparaisons, c'est qu'aujourd'hui, le taux d'investissement des entreprises françaises se situe au même niveau que celui de leurs concurrentes allemandes, soit 10 % du PIB. Mais la destination de ces investissements diffère. L'Allemagne investit beaucoup plus que la France dans les machines et les équipements avec un écart estimé à 25 %. Cette frilosité française se lit dans une autre statistique, tout aussi éclairante : celle du nombre des entreprises ne déclassant aucun équipement dans l'année : de 18 % sur la période 1991-1996, ce taux est passé à 30 % entre 2006 et 2011 en France, englobant, il est vrai, les années de crise.
Il n'empêche : cette réticence française à l'automatisation laisse perplexe les économistes. Parmi les raisons les plus couramment invoquées figure, évidemment, la faiblesse du taux de marge de nos industriels. Dans une étude récente portant sur un échantillon de 3.000 entreprises, KPMG a montré à quel point la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux ainsi que la hausse des salaires avaient miné leur capacité à investir. L'autre explication, sans doute tout aussi importante mais plus difficile à quantifier tient à la réticence des chefs d'entreprise à aller trop loin dans l'automatisation, de crainte de provoquer une casse sociale. Aujourd'hui, certains économistes suggèrent que les 350.000 emplois industriels perdus entre 2007 et 2012 auraient dû être beaucoup plus nombreux si l'on avait suivi à la lettre les modèles théoriques de destruction de postes établis en fonction du degré de ralentissement de l'activité. Il en résulterait un excès d'emplois dans l'industrie qui aurait dissuadé les chefs d'entreprise d'investir dans l'innovation technologique, ce qui leur aurait pourtant permis de gagner en productivité. Vraie ou fausse, cette hypothèse rejoint une réalité plus tangible, et plus émotionnelle : à savoir les craintes exprimées dans l'opinion publique devant les ravages supposés de la robotisation sur l'emploi. Depuis plusieurs mois, ce débat, vieux comme la révolution industrielle, est reparti de plus belle aux Etats-Unis et s'est même invité au récent Forum de Davos. La crainte d'une croissance sans emploi a brusquement resurgi à mesure que l'économie numérique impose de plus en plus rapidement sa loi à tous les secteurs d'activité. C'est donc dans un climat appelé à devenir de plus en plus hostile que les patrons français vont devoir accomplir leur rattrapage en matière d'automatisation. Devant l'affaissement manifeste de l'appareil industriel français, il y a urgence. Le cabinet Trendeo indiquait que face aux destructions d'usines, le nombre de créations de sites industriels en France était en chute de 28 % avec seulement 124 unités sorties de terre. Vieillissement en hausse, natalité en baisse, c'est cette évolution qu'il faut interrompre.

Les points à retenir
En un peu plus de trente ans, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée a chuté de 20,6 % à moins de 10 % en France. Un taux parmi les plus faibles de la zone euro.
Cette spécificité française s'explique par la perte de compétitivité de notre pays et par le défaut de spécialisation de notre industrie, pas assez haut de gamme.

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