mercredi 22 janvier 2014

Comment votre apparence physique joue sur votre carrière

JFAmadieuPortraitComment votre apparence physique joue sur votre carrière

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Votre manière de vous vêtir, de vous coiffer, votre silhouette, les traits de votre visage, votre taille, votre poids, votre jeunesse… Sachez que toutes ces facettes de votre personne sont analysées par la plupart des recruteurs. Mais en quoi l’apparence joue-t-elle au moment de l’embauche ? Et plus tard, être beau ou belle vous ouvrira-t-il des portes ?
Jean-François Amadieu, sociologue, Directeur de l’Observatoire des Discriminations et auteur du livre « DRH, le livre noir » sorti en 2013, se bat depuis des années contre la dictature du beau. Il déplore notamment que le sujet soit encore tabou alors qu’il s’agit bel et  bien d’un facteur de discrimination…

A quel niveau l’apparence d’un candidat peut-elle jouer dans son recrutement ?

Selon un sondage très récent mené par l’Ifop et le Défenseur des Droits auprès des demandeurs d’emploi, l’un des premiers motifs de discrimination cité est l’apparence, ce qui comprend la tenue vestimentaire et le physique. L’âge en fait également partie car jeunesse et beauté sont intimement liées dans l’imaginaire. Mais parmi les critères physiques discriminants, c’est l’obésité qui pose le plus problème.
« Une femme en surpoids a 3 fois moins de chances d’être recrutée »
Même si le résultat de ce sondage relève du déclaratif, nous avons pu constater via des testing menés avec l’Observatoire des discriminations que cette discrimination existe véritablement au-delà du ressenti des sondés. Depuis 2004, nous envoyons régulièrement de faux CV grâce auxquels nous testons absolument tous les effets de l’apparence physique des candidats sur les recruteurs : le poids, les traits du visage, le  maquillage, les vêtements… Ainsi, sur le métier d’hôtesse d’accueil par exemple, une femme en surpoids aura concrètement 6 fois moins de chances d’être recrutées qu’une femme mince. Ce n’est pas un scoop, puisque le secteur ne cache pas ses affinités en matière de profils attendus. Mais nous avons mené ces mêmes expériences dans la restauration rapide, et les femmes en surpoids y ont tout de même 3 fois moins de chances d’être recrutées.

De toutes les discriminations, pourquoi celle au physique fait-elle si peu de cas ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Préférer une personne blanche à une personne noire est aujourd’hui considéré comme inadmissible. En revanche, lorsqu’il s’agit de la beauté, du poids, de la taille, les gens ont tendance à trouver la discrimination normale notamment dans certains domaines d’activités comme l’accueil.
La deuxième raison est qu’il n’y a pas de sensibilité sur le sujet car il n’existe pas de tissu associatif autour des discriminations liées à l’apparence, pas d’actions historiques, pas de combat… Et puis reconnaître ce genre de discrimination serait reconnaître qu’il existe plusieurs catégories de personnes : des personnes belles, des personnes laides… C’est délicat. Mais il existe une réelle hypocrisie autour de la beauté, considérée comme subjective alors que c’est quelque chose de reconnaissable scientifiquement. Il y a une volonté frappante de ne pas voir le problème alors que les résultats d’enquête sont sans ambiguïté. L’Observatoire des discriminations est d’ailleurs le seul organisme à faire des enquêtes sur les discriminations à l’apparence physique.

Pourquoi la beauté est-elle autant synonyme de réussite au travail ?

Dans beaucoup de secteurs le client va se laisser séduire par ce qu’il voit, un bel homme ou une belle femme. La dernière polémique en date est celle liée au restaurant Coste du centre Georges Pompidou (accusé de placer les clients moches au fond) ou la marque Abercrombie & Fitch (suspectée de discrimination à l’embauche). Nous aimons également travailler avec des collaborateurs séduisants. Ces préférences renforcent le phénomène.
Enfin, on prête de nombreuses qualités aux beaux : ils sont plus intelligents, plus compétents, plus équilibrés, plus avenants, plus sociables, plus ambitieux, etc.

L’apparence semble avoir une incidence sur tous les pans de la carrière : évolution, rémunération… Et tout au long de la vie professionnelle…

Les études qui démontrent que les beaux gagnent plus sont des études étrangères. La dernière en date (ndlr : l’étude américaine de de Daniel Hamermesh « Beauty pays ») nous apprend qu’aux Etats-Unis, les actifs hommes ou femmes jugés les plus attirants physiquement gagnent en moyenne 160.000 euros de plus durant leur carrière que leurs collègues au physique quelconque.
« L’apparence physique accentue la reproduction sociale »
En France, il est difficile de montrer cela. On a surtout analysé l’impact de la taille et du poids et constaté que les personnes obèses ou petites gagnent moins que les autres. Même sans chiffre précis, nous savons que ce type de discrimination existe chez nous. Les femmes par exemple sont doublement discriminées, non seulement par rapport aux hommes mais entre elles également : une femme obèse sera désavantagée par rapport à une femme mince. Il y a donc plusieurs niveaux d’inégalités, au détriment des personnes les plus modestes.

Vous dites dans une interview au journal L’Express que la beauté accentue le phénomène de domination…

C’est sans doute l’une des raisons pour lesquels la discrimination au physique est encore taboue. Prenons l’exemple de l’obésité : les personnes obèses sont statistiquement plus nombreuses chez les personnes pauvres que chez les riches. Etre obèse est donc devenu une sorte de marqueur social. Idem pour le dress code : les codes vestimentaires sont plus au moins maîtrisés selon les groupes sociaux. Ainsi, discrètement, l’apparence physique va accentuer la reproduction sociale.

En France, a-t-on toujours autant ce culte de l’apparence et de la photo sur le CV chez les DRH selon vous ?

Incontestablement oui. La photo sur le CV reste un élément important pour les professionnels du recrutement, comme en témoigne une enquête de l’Apec. Même les cadres considèrent qu’il faut absolument mettre une photo sur le CV. Pour résoudre ce problème il aurait fallu passer au CV anonyme mais malgré la loi de 2006, les politiques n’en veulent pas. Pire, aujourd’hui la mode est au CV vidéo ! Alors qu’on contraire, il faudrait plutôt mettre en place des sélections type « The Voice » (un télécrochet sur TF1) et choisir les candidats sans les voir.

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