vendredi 23 mai 2014

La Maison Troisgros quitte Roanne

Michel Troisgros, héritier de trois générations de cuisiniers, ici dans son restaurant à Roanne.

La Maison Troisgros quitte Roanne

http://www.lefigaro.fr 
Par Hadrien Gonzales le 27/02/2014 à
Installée en face de la gare depuis 1930, cette institution gastronomique, trois étoiles au Michelin, déménagera en 2017 dans un très chic domaine en pleine campagne, à 10 kilomètres de là.

La Maison Troisgros plierait donc les gaules? L'annonce a fait, mercredi, l'effet d'une petite bombe dans le landerneau gastronomique. Et pour cause, cette institution, trois étoiles au Michelin, est fièrement installée face à la gare de Roanne depuis 84 ans. Dès 2017 pourtant, le restaurant devrait déménager dans un manoir doté d'un parc de 17 hectares, à 10 kilomètres de là, dans la commune d'Ouches. «C'est un beau domaine avec de l'espace, du silence, de la lumière… Nous pourrons même y installer un spa et une piscine», confiait Michel Troisgros au Figaro mercredi matin. L'investissement atteint les 7 à 8 millions d'euros, puisés dans la cagnotte familiale. Fort de cette nouvelle adresse, le chef devrait ainsi rivaliser avec les plus beaux établissements français. En ligne de mire: Olivier Roellinger à Cancale, Georges Blanc à Vonnas ou encore Michel et Sébastien Bras à Laguiole. Comme à Roanne, le restaurant accueillera 50 à 60 couverts. La table se doublera d'une dizaine de chambres de luxe contre 17 actuellement. «Nous allons commencer doucement, glisse Michel Troisgros. L'hôtellerie, c'est indispensable pour un restaurant en Province. C'est ce qui fait tourner la machine.»
Dans l'assiette, le feu et la braise insuffleront des notes primaires et fondamentales. Pas de grand chambardement toutefois. Les becs fins retrouveront le fameux saumon à l'oseille et son acidité vivace ou les exotiques «cuisses de grenouilles poêlées, un satay de tamarin».
«L'empreinte du territoire est primordiale pour nous. Troisgros à Roanne, c'est comme la tour Eiffel à Paris», lance le cuisinier. Autant dire que le changement qui se profile peut se révéler périlleux. «Le risque aurait été de ne rien faire, reprend le chef. Nous sommes locataires, nous n'avons jamais pu acheter les murs. C'est étouffant, asphyxiant.» La famille a préféré prendre le large plutôt que de se lancer dans d'importants travaux de mise aux normes prévus pour 2015. Le Central, la brasserie adjacente, ne bougera pas d'un iota.

Passage de témoin

En 1930, Marie et Jean-Baptiste Troisgros s'installent à l'Hôtel-Restaurant des Platanes, pile-poil en face de la gare de Roanne, et fondent la Maison Troisgros. Installés aux fourneaux dès 1957, leurs deux fils Pierre et Jean, les célèbres «Frères Troisgros», décrochent leur troisième étoile en 1968. La même année, le critique Christian Millau lance: «J'ai découvert le meilleur restaurant du monde.» Depuis, l'adresse n'est jamais redescendue de son firmament. Lorsque Jean décède en 1983, la ville lui rend hommage en rebaptisant la place de la gare «place Jean-Troisgros». Michel entre aussitôt dans la danse pour épauler son père, Pierre, en cuisine.
Curieusement, l'histoire du passage de témoin est en train de se rejouer. Depuis juillet 2012, l'aîné César Troisgros officie au poste de second de cuisine. «Il participe de plus en plus à l'évolution du restaurant. Il est très, très concerné, passionné dans sa réflexion», déclare Michel Troisgros. Quant à Léo, 21 ans, il termine actuellement sa deuxième année au prestigieux Institut Paul Bocuse de Lyon. La relève est assurée. Les 50 employés de Roanne suivront le chef dans sa nouvelle escale. L'effectif sera même augmenté de quelques postes clés, comme celui de paysagiste.
«Le bâtiment principal ressemble à ces maisons que l'on trouve au bord des lacs en Italie. Cela doit me rappeler ma mère», confie Michel Troisgros. Quant au reste du parc, il forme un petit hameau composé d'une longère, une grange et de magnifiques bâtiments agricoles. Ces derniers seront maintenus dans leur intégrité. «Ces constructions sont belles parce qu'elles sont modestes», lance le cuisinier. Un verger et un potager compléteront le décor. «Ma femme Marie-Pierre et moi avons un faible pour la pomme de terre. Nous avons hâte de cultiver nos propres spécimens!»
À la mairie d'Ouches, l'enthousiasme est palpable. «On discute de cette affaire depuis novembre, confie-t-on au bout du fil. Nous avons fait une dérogation pour la mise en conformité du plan d'urbanisme. L'arrivée de Michel Troisgros promet de donner un coup de projecteur inestimable sur notre petite ville de 1 100 habitants.» Et le chef de poursuivre: «Les choses sont tombées au bon moment. Nous nous étions déjà rendus sur place en 1997. À l'époque, le lieu nous faisait déjà rêver mais nous n'étions pas mûrs pour acheter. Quand nous avons appris, il y a quelques mois, que sa propriétaire la remettait en vente, nous avons sauté sur l'occasion.» Le permis de construire devrait être délivré cet été. Le cuisinier a fait appel à une pointure de l'architecture: son ami l'architecte Patrick Bouchain a déjà œuvré à la Colline du Colombier, l'annexe campagnarde inaugurée il y a six ans, à Iguerande (à 18 km au Nord de Roanne). La cuisine qui sortira bientôt de terre devrait relier les différents corps de bâtiments. Elle prendra la forme d'une demi-lune, d'un amphithéâtre: Michel Troisgros sera comme un chef d'orchestre face à ses musiciens. «Ce sera une cuisine lumineuse, c'est sûr. Conviviale, c'est sûr aussi. Heureuse? On le souhaite!», lâche-t-il en riant.

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